Peut-on changer et rester la même ?

On dit que le manque est une façon de se détruire. Le manque d'alcool, le manque de drogue, le manque de nourriture. Mais aussi le manque d'amour, d'amitié, ou le manque d'une personne. C'est difficile, du jour au lendemain, d'ignorer une personne qu'on aime, avec qui on partage tout. C'est aussi dur de devoir tout faire pour l'éviter, s'éloigner des lieux où on a l'habitude d'être, de rester toujours attentif à tout pour ne pas croiser cette personne. Mais le plus compliqué, ce n'est même pas de devoir la fuir. Non, le plus compliqué, c'est quand cette personne vous aime, que vous l'aimez en retour, mais que vous ne voulez pas qu'elle vous vois changée. C'est horrible cette sensation de vide, comme si quelque chose vous manquait. Une partie de vous, que votre corps et votre coeur réclame, mais que votre cerveau refuse de récupérer, par peur du rejet. Vous voyez de quoi je parle ? Non ? Tant pis.

C'était exactement ma situation depuis quelques temps. Plusieurs mois, en réalité. Ce n'était pas que j'avais changé de coiffure, de style vestimentaire ni même de visage. Mais je n'étais plus une sorcière. Désormais, j'étais une vampire sanguinaire, je tuais des humains pour vivre. Et je savais que Damon, malgré tout l'amour qu'il avait pour moi, ne supporterait pas cette vision de moi. Moi, la gentille sorcière qui créait des robes et qui se baladait en forêt, voilà ce que j'étais devenue. Une vampire qui traquait et tuait des hommes, des femmes ou même des enfants pour boire leur sang. Une sorcière aux beaux yeux marrons, j'étais devenue une vampire aux yeux aussi rouges que le sang que je pompais. J'étais passé d'un agneau à un monstre, et je ne voulais pas que celui que j'aime voit ça. Non, vraiment, je n'étais plus la même, moi qui donnait tout pour rendre les gens heureux, voilà que j'étais une tueuse.

Seulement, même si cela faisait plusieurs mois que j'évitais de voir Damon, j'avais un petit souci. Je lui donnais des nouvelles par messages, ou alors quand je m'introduisais chez lui pour laisser un mot, mais jamais quand il était là. Il devait avoir remarqué que j'essayais de l'éviter, mais je m'en fichais. Le seul problème qui se posait, c'est qu'il vivait avec sa soeur, et que les occasions pour moi d'y aller se retrouvaient peu à peu réduites. Et que, en rangeant un peu mes affaires, j'avais retrouvé un t-shirt à lui. Sans doute un oubli, perdu dans mes piles de vêtements. Je savais que lui ramener en son absence serait une façon de ne pas le croiser, mais je voulais le voir. J'avais envie d'arrêter de l'éviter, de tout faire pour ne pas le croiser. J'avais envie de lui parler, quitte à me faire rejeter, ne serait-ce que pour entendre sa voix et me sentir mieux. Mon moral avait baissé, ces derniers mois.

Alors j'avais pris sur moi. J'avais enfilé un jean noir, un haut blanc et une veste en cuir noir. Je m'étais coiffée, en prenant le temps de boucler mes cheveux, à allure humaine. Je les disposais proprement autour de mon visage, me donnant même l'air d'être comme ces princesses anglaises qu'on voit dans les romans. Je mis du doré sur mes yeux, en prenant toujours mon temps, et même du mascara. Le rouge à lèvres rosé que j'appliquais sur mes lèvres vint finir de terminer ma préparation physique. Deux pressions sur le bouchon de mon parfum, et j'étais prête. Je prenais un sac à main noir, où je plaçais le t-shirt, tranquillement, puis j'attrapais mes clés. Je sortis de chez moi, descendis les escaliers pour me retrouver dehors. J'allais aller chez lui, à pieds, et à allure humaine. Cela me ferait le plus grand bien, et puis j'avais le temps, je n'avais rien de prévu aujourd'hui.

La foule autour de moi me titillait les narines. J'aurais donné pas mal de choses pour laisser mon instinct de chasseuse prendre le dessus et faire quelques victimes parmi tous ces corps qui se pressaient et se frôlaient. Mais je me faisais violence pour ne pas céder à ces pulsions, et à continuer vers mon but. Peu à peu, les gens se faisaient plus rares, de sorte que j'arrivais calme devant la porte de l'appartement des Mils. Je pris une respiration, chose inutile puisque je n'avais plus besoin de respirer, mais par simple habitude. Puis je levais la main pour laisser trois coups qui résonnèrent dans l'appartement. Je distinguais les pas d'une personne, jusqu'à ce que la poignée bouge et que la porte s'ouvre. J'étais immobile, telle une statue de sel, devant chez lui. Face à lui, l'homme que j'aimais et que j'avais fuit pendant des mois. Je ne savais pas quoi dire, quoi faire. Finalement, la seule chose que je réussis à dire fut :

Je ne pouvais pas lui dire "à la maison". Même pas "chez nous". Nous ne nous étions pas vus depuis trop longtemps, à cause de moi. Je ne pouvais pas lui dire qu'il avait oublié quelque chose dans "notre" appartement. J'étais seule à payer, à y vivre, alors j'étais chez moi. Ce n'était pas un foyer. Pas le nôtre, en tout cas. Pitoyable, je sais. Pourtant, c'est la seule chose que j'avais réussi à sortir. J'aurais voulu le toucher, l'embrasser, mais j'ignorais ce qu'il allait penser de moi. J'avais sorti le t-shirt, le rapprochant de lui. Et j'avais planté mon regard rouge sang dans le sien, sachant très bien que même sans voir mes yeux, il saurait. Mon odeur me trahirait.

Spoiler:

Les semaines s'étaient écoulées, le temps passait inexorablement, on ne pouvait rien y faire et j'allais douloureusement en faire les frais. Je m'étais occupé de ma soeur, j'avais même rencontré son petit ami qui était à ma grande surprise un modificateur, je m'étais lié d'amitié avec de nombreux loups qui m'aidaient à comprendre et à mieux appréhender ma nature. Tout se passait mieux, j'avais enfin une vraie vie. Si ce n'était ma relation avec Evie.

Notre histoire avait commencé comme un vrai conte de fée. Coup de foudre, passion, fusion et puis tout d'un coup machine arrière. Elle qui avait été la première à croire en notre histoire elle avait commencé à se faire distante, elle avait toujours une bonne raison de ne pas se voir et d'annuler nos rendez-vous. De temps à autre un message posé sur mon lit, un texto pour me dire qu'elle allait bien et qu'elle ne m'oubliait pas, parfois même un appel. Elle avait l'air normale mais en même temps cet éloignement ne lui ressemblait tellement pas. Mais j'avais respecté son besoin de distance, j'avais moi même beaucoup de choses à régler dans ma vie familiale et dans la meute.

J'étais de nature patiente aussi je ne fis rien. Fusse là ma plus grande erreur ? Oui. Mais cela je n'allais l'apprendre que bien plus tard.

J'étais en train de préparer mes affaires, depuis l'attaque d'Enée qui avait failli coûter la vie à Kim nous avions décidé qu'il valait mieux que tous les loups habitent ensemble juste le temps de le mettre hors d'état de nuire. Personne ne devait rester isolé. Angel allait partiellement vivre avec nous et le reste du temps des gardes rôderaient autour de la maison. Je ne voulais pas perturber son équilibre avec le lycée mais je n'allais pas la laisser sans protection.

La sonnette retentit, je regardais l'heure, ils étaient en avance. Je me dirigeais vers la porte et allais chambrer mes camarades quand je me figeais. Se tenait devant moi ma douce Evie, enfin ce fut ce que je crus durant les premières secondes. Elle me tendit un tee-shirt me disant qu'elle l'avait oublié chez elle. Par automatisme je le saisis mais je restais sans voix. Ses yeux, son odeur...Non, cela ne pouvait pas être possible, pas elle, pitié pas elle. Bien que je voulais ne pas y croire, je ne pouvais pas nier la réalité, Evie était devenue une vampire.

Je pris une large respiration et la serra contre moi. J'en profitais pour la faire rentrer chez moi afin que nous ayons plus d'intimité.

- Qui t'as fait ça ? lui demandais-je une colère sourde montant en moi. Je te jure que je vais tout faire pour éliminer l'ordure qui t'a fait ça.

J'avais été stupide. Je pensais qu'en tant que sorcière elle ne risquait rien, qu'elle pourrait se défendre si un vampire l'attaquait.

- Pardonne-moi ajoutais-je ma voix se brisant d'émotion.

Je ne m'étais pas trompé. J'avais vu à son visage, à son expression incrédule qu'il ne voulait pas y croire. Il avait pris le t-shirt, et je compris que mon changement le perturbait. Mais en même temps, il avait toujours vu en moi la sorcière, il ne pensait peut-être pas simplement que je pourrais un jour être autre chose qu'une sorcière. Pourtant, la preuve en était, j'avais changé. Physiquement, ma peau était plus pâle, elle brillait au soleil. En plus de ça, mes yeux étaient d'un rouge sanguinolent, et même mes cheveux étaient devenus plus beaux. Je lâchais sans opposer aucune résistance le morceau de tissu qu'il prit, toujours en essayant sans doute de réaliser ce qui m'était arrivé. Je ne bougeais toujours pas, mon visage n'exprimait aucun sentiment. Je ne trahirais pas la douleur que j'avais eue ces derniers temps, ni au combien c'était difficile de venir ici quand il était là. Je restais de marbre.

Il allait probablement me rejeter, maintenant que j'étais son ennemie naturelle. J'entendais son coeur battre, je pouvais voir la veine de son cou pulser et j'avais simplement envie de partir. Le voir ainsi, figé, devant moi, à m'observer, cela me mettait mal à l'aise. J'allais tourner les talons quand il prit une profonde inspiration et m'enlaça. Peut-être que c'est totalement stupide de dire ça, mais ce simple geste fit chuter toutes mes barrières. Je me laissais alors aller à respirer à pleins poumons son odeur. Bien qu'elle me piquait le nez, je ne la détestait pas. Bon, il ne sentait pas la rose, mais il ne puait pas autant que les autres. Peut-être que l'amour aidait à supporter son parfum. Mes mains se posèrent doucement dans son dos, tandis que je le serrais contre moi tout doucement. Ma force était supérieure à la sienne, je le savais, et mon but n'était pas de le blesser. Finalement, j'entrais chez lui.

Qui t'as fait ça ? Je te jure que je vais tout faire pour éliminer l'ordure qui t'a fait ça.

Je fermais légèrement les yeux. Je savais que ma réponse ne lui plairait pas, voilà pourquoi je ne voulais pas rester. Parce que je savais bien que ce qu'il voulait, c'était me venger. Mais c'était impossible de me venger. Parce que c'était ma décision. Je voulu prendre la parole, mais je n'eus pas le courage. Briser cet homme encore une fois, ce n'était pas une bonne chose. Pourtant, je savais que je devais lui dire. Ses mots suivants me firent du mal. Non pas parce qu'ils étaient blessants, mais parce que c'était difficile d'entendre ça de la part de celui qu'on aimait, d'autant plus qu'il n'y étais pour rien dans ma transformation. Je posais ma main sur sa joue, comme je l'aurais fait étant sorcière. Il venait de simplement me dire :

Pardonne-moi

J'avais entendu ses émotions sortirent à la fin de ces deux mots. Mes doigts glissèrent doucement sur sa peau, avant que je ne prenne la parole :

Damon... Tu n'y es pour rien... Tu... Tu ne pourra pas me venger...

Je savais que mes paroles étaient trop vagues, mais je ne savais pas exactement comment le dire. Comment dire à celui qu'on aime que l'on a choisi de devenir autre chose que ce qu'on était ? Pire encore : comment lui avouer que l'on a choisi de devenir son ennemie naturelle ? Finalement, je pris ses mains dans les miennes, figeant mes muscles des bras pour l'empêcher de faire du mal à quoi que ce soit, ou de se faire du mal, avant de lâcher de façon plutôt tranquille :

Je suis devenue une sanguinaire suite à un contrat. J'ai choisi de le devenir.

Mes yeux ne se remplirent pas de larmes, je n'avais pas envie de pleurer. J'étais ce que j'étais, je l'avais choisi, je l'assumais.

N'étais-je qu'un bon à rien ? Incapable de protéger ceux à qui ils tenaient ? Ses parents, Angel et maintenant Evie, cela était un cauchemar qui se répétait de façon cyclique, il fallait que cela cesse et pour commencer j'allais exterminer le salaud qui l'avait touchée.

Evie posa sa main contre ma joue, son contact autrefois chaleureux était désormais froid comme le marbre, le contraste entre ma peau brûlante et la sienne glaciale continua de déchirer mon coeur, pourquoi elle, pourquoi...

Avec sa gentillesse légendaire Evie me répondit que je n'y étais pour rien et que je ne pourrais pas la venger. Certes je n'étais pas directement responsable mais mon manque de considération pour sa protection avait eu raison de son humanité. Mais c'était fini, je ne ferais plus les mêmes erreurs. Quant à la vengeance elle se trompait si elle pensait que je ne pouvais rien faire. Je n'étais pas si gentil que je n'y paraissais et puis je n'étais pas stupide, je savais que Wellan et la meute m'aiderait afin que ce crime ne reste pas impunis. Mais avant que je puisse répondre ma douce Evie prit mes mains entre les siennes et je sentis une certaine puissance émaner d'elle, comme si elle se contrôlait. Et ce qu'elle ajouta par la suite me figea.

Elle m'annonça avoir choisi d'être une sanguinaire, après avoir passé un contrat. Mais que me racontait-elle ?

- Evie, comment ça tu as choisi ? demandais-je les sourcils froncés. Qu'est ce que c'est que cette histoire de contrat ?

Ma confusion était de plus en plus grande d'autant plus qu'Evie n'avait pas l'air perturbée par tout ça. On ne pouvait décemment pas choisir de devenir un monstre d'autant plus en vivant à Forks, quand on pouvait voir toutes les atrocités que les vampires proféraient, il devait y avoir une erreur ou tout du moins une bonne explication.

Je plantais mes yeux chocolat dans son regard rougeoyant en quête d'une réponse.

- Explique moi ajoutais-je presque suppliant.

J'étais passé de la tristesse, à la colère et maintenant à la confusion la plus grande.

Evie, comment ça tu as choisi ? Qu'est ce que c'est que cette histoire de contrat ? Explique moi.

Je sentais sa détresse, il avait peur et je devais le rassurer. Faisant quelques pas dans l'appartement, je cherchais la façon la plus douce de dire à mon cher et tendre la situation. Je ne voulais pas le blesser, le brusquer, l'énerver, ou quelque chose comme ça. Mais il avait le droit de savoir, de comprendre, d'autant plus qu'il me le demandait avec un ton tel que je ne pouvais pas l'ignorer. Je me positionnais face à la baie vitrée, calme, mais mes pensées étaient en pleine ébullition. Finalement, je pris la parole :

Il me semble que je t'avais parlé de cette fille, Mina, qui m'a aidé à lancer ma boutique...

Sans doute, mais je n'en étais même plus sûre. Je me tournais doucement vers lui, mais dans le dos, continuant d'une voix douce et tendre :

C'est une vampire sanguinaire. Elle m'a proposé un deal : si ma boutique marchait, rien ne changerait. Mais si elle ne marchait pas, je deviendrais une vampire.

Je posais mon regard sanglant dans le sien, avant de baisser la tête :

Comme tu t'en doute, je n'ai pas réussi. Alors j'ai accepté mon sort.

Je m'approchais, avant de poser mes deux mains sur ses joues. Mon regard se planta dans le sien, avant que je ne murmure :

Je pensais y arriver... La seule responsable de ce que je suis devenue, c'est moi. Si tu as quelqu'un à tuer, c'est moi.

Je savais qu'il ne me ferait aucun mal. Je déposais mes lèvres sur les siennes, comme avant. Je tentais de rester la même qu'au début de notre relation, mais rien que la différence de température entre nos deux corps me rappelait que je ne serais plus jamais une sorcière. Je reculais lentement, avant de dire :

Si tu ne veux plus me voir, je le comprendrais. Si tu veux que je parte, alors je le ferais. Mais je ne voulais plus te laisser dans l'ignorance... Je suis désolée de ne pas être venue avant, je ne savais pas comment te le dire...

Evie lâcha mes mains et commença à arpenter la pièce pendant que j'en profitais pour la scruter. Elle paraissait être la même mais en surface seulement car lorsque je m'attardais sur des petits détails je voyais bien là que mon Evie n'était plus. L'infime cicatrice qu'elle avait près de son oreille, quasi invisible à l'oeil nu, avait disparu ; désormais sa peau était lisse et d'une couleur d'albâtre. Plus jamais je ne verrais ses joues rosirent quand nous nous embrassions avec intensité, plus jamais son souffle chaud viendrait caresser ma nuque lorsque que je la serrerais dans mes bras. Non, tout cela était terminé.

Je sortis de mes élucubrations quand Evie prit la parole. Elle me demandait si je me souvenais d'une certaine Mina qui l'avait aidée à lancer sa boutique.

- Oui vaguement, tu ne t'es pas étendue sur le sujet répondis-je le ton égal.

Je préférais faire des réponses laconiques tant une colère sourde s'emparait de moi et je ne voulais surtout pas laisser le loup prendre le dessus aussi je tentais de me maîtriser au mieux.

Elle poursuivit en avouant qu'il s'agissait d'une vampire sanguinaire et qu'elle avait passé un accord avec elle. Ou sa boutique était un succès et elle restait humaine ou elle échouait et la sentence était la mort. Oui car pour moi être transformé en vampire était tout comme mourir, preuve en était le coeur s'arrêtait de battre.

Je ne répondis pas, complètement abasourdi par les révélations faites par Evie. Cela ne pouvait pas être possible, je devais être en plein cauchemar.
Evie s'approcha de moi et tout en posant ses mains contre mes joues puis elle ajouta que si fautive il y avait c'était elle et je ne pouvais qu'être d'accord. Alors elle m'embrassa, je me laissais faire mais ne lui rendis pas totalement son baiser.

Son corps était froid et le contact de ses lèvres contre les miennes n'éveillait plus mon corps comme auparavant, non je restais de marbre.

Elle enchaîna en me disant qu'elle comprendrait si je voulais qu'elle parte et si je prenais la décision de ne plus la voir.
Puis elle termina en m'expliquant qu'elle ne voulait plus me laisser dans l'ignorance et qu'elle avait tardé faute de savoir comment me l'annoncer.

Je la dévisageais quelques secondes, Evie, ma Evie avait disparu. Aussi je reculais, j'avais besoin d'air.

- Tu as vendu ton âme contre une fichue boutique ? finis-je par dire simplement.

Mon ton était glacial et tranchant. Etais-je en colère ? C'était peu dire. Si elle avait passé un pacte pour sauver quelqu'un ou même pour sauver sa vie j'aurais pu le comprendre mais là pour une chose aussi triviale qu'une satanée boutique je n'arrivais tout simplement pas à le comprendre. Etre superficielle au point de donner sa vie pour une poignée de vêtements, seule une décérébrée ou une inconsciente pouvait faire ça.

- Comment as-tu pu ? crachais-je d'un air dédaigneux.

Je ne pouvais pas compatir et encore moins comprendre. Cette situation dépassait tout simplement l'entendement. Je pouvais me montrer compréhensif, altruiste et être une épaule sur laquelle se reposer mais là cela en était trop.

Je savais que j'avais blessé l'homme que j'aimais, et je savais que je n'obtiendrais pas son pardon. Du moins, pas tout de suite. Mais j'avais fait un choix, je ne pouvais pas revenir en arrière, il fallait accepter. Je me doutais bien, avant même d'arriver, que ce serait un véritable problème dans notre couple. Enfin, couple... Je ne savais plus vraiment quoi en penser, j'avais tellement peur d'avoir tout fichu en l'air. J'étais sensée l'aimer, être son âme soeur, mais j'avais fait un choix sans même lui en parler avant, comme une égoïste. Cela ne se faisait pas, et pourtant je l'avais fait. Même moi, je m'étais rendue compte, au moment-même où les crocs de ma créatrice s'étaient enfoncés dans mon cou, que j'avais fait une énorme erreur. J'aurais dû y réfléchir, prendre mon temps. Mais j'avais paniqué, et j'aimais tellement mon commerce que j'avais tenté le tout pour le tout, à mes risques et périls. Malheureusement, la balance avait penché du côté du péril.

Je lui demandais alors si je lui avais parlé de cette Mina. Celle qui avait investi assez d'argent dans ma boutique, pour que je la monte, et qui avait proposé ce deal. J'avais eu un doute, le temps d'un instant, mais rapidement il répondit à ma question. Je lui avais, apparemment, rapidement parlé d'elle mais sans insister dessus. Je le sentais, désormais, cette colère furieuse qui naissait en lui. Je sentais l'air devenir plus pesant, plus froid, comme si son humeur avait affecté tout le reste autour de nous. Et je n'avais pas vraiment tort. Alors je finis par lui expliquer quel était le marché que j'avais passé avec la vampire sanguinaire. Je savais déjà qu'il n'allait pas aimer l'entendre, ni l'accepter, mais c'était ainsi. J'avais tenté une approche, essayé de lui montrer que j'étais encore celle qu'il avait connu, avec simplement quelques différences. Je l'avais embrassé, en espérant au fond de moi que cela changerait quelque chose. Et il n'y répondit même pas. Je le savais...

Je vis ses yeux se poser sur moi, quelques secondes, durant lesquelles je restais immobile. Presque statufiée, pour être honnête je savais à quoi je ressemblais. Je savais que j'avais ce teint blanc, dur, dépourvu de toute imperfection. Mais aussi mes yeux, aussi rouges que le sang que je buvais pour survivre. Je savais pertinemment que je n'étais pas une sorcière, que le sang ne coulait plus dans mes veines et que mon coeur ne battait plus. Je savais que je l'avais déçu, blessé, et vous n'imaginez pas à quel point je m'en voulais. Il fit quelques pas en arrière, séparant nos corps sans même avoir l'air peiné. En fait, il avait l'air dur, neutre, autant que moi. A la différence que moi, je regrettais ce que j'avais fait. Lui, il n'était que haine à l'état pur. Je ne bougeais pas, n'essayant même pas d'avoir l'air encore vivante. Pas de soupir, pas de larmes, rien. Je ne pourrais plus être comme avant, pas même avec toute la bonne volonté du monde. Et finalement, il reprit la parole :

Tu as vendu ton âme contre une fichue boutique ?

"Fichue boutique". Rien que ces mots firent naître en moi une rage que je ne cachais même pas. Je pouvais accepter sa colère suite à ma décision, mais je lui interdisais de parler ainsi de mon travail. Mes poings se serrèrent, et je reculais à mon tour. Mes yeux étaient à présent vides de tout sentiments, je ne laissais plus rien paraître sur mon visage. Il voulait jouer à ça ? Alors allons-y, que le jeu commence. Mes mains se posèrent alors dans mon dos, masquant les marques profondes de mes ongles qui serraient ma peau avec une force encore très fraîche. J'avais envie de le démolir, de lui faire du mal, tout en ayant simplement envie qu'il accepte ma nouvelle condition. Je ne savais plus quoi faire, si ce n'est rester neutre et laisser ma colère prendre le dessus sur le calme qui, jusqu'à présent, m'habitait. Je ne savais plus vraiment quelle option choisir, mais je savais que si je lui faisais quoi que ce soit, alors je le regretterais amèrement.

Comment as-tu pu ?

Mes yeux lancèrent alors des éclairs. J'avais envie de lui rentrer dedans, de fuir, de le frapper, de le voir sourire. J'avais tellement de pensées en tête, tellement de choix qui s'offraient à moi, et tellement de possibilités de tout changer. En bien, mais aussi en mal. Je restais silencieuse, quelques secondes, sans exprimer la moindre expression faciale. Et finalement, je réfléchis plus que ce que je pensais. Je ne sais pas combien de temps s'était écoulé, tout au plus deux minutes. Mais assez pour que je sache exactement quoi faire. M'approchant légèrement, j'enlevais mes mains de mon dos. Je m'immobilisais à quelques mètres de lui, reprenant peu à peu un semblant de calme. Et finalement, c'est avec un ton dénué de ton, presque monotone, que je me contentais de répondre :

Toi tu as ta meute pourrie. Moi j'ai ma boutique.

Je repris un semblant de vie, lorsque je continuais de m'exprimer avec cette fois-ci un ton réellement triste :

Je te pensais ouvert d'esprit. Comme ta soeur. Elle est humaine, je l'ai senti en venant ici quand tu n'étais pas là. Et pourtant, d'après ce que je vois, elle reste vivre avec toi malgré ce que tu es. Elle t'aime, elle.

Fallait-il réellement que je continue de parler, d'exprimer mes ressentis les plus profonds ? Oui. Je repris alors d'une voix calme :

Si tu as peur pour elle, je comprends. Je ne lui ferais rien, au contraire. Ce n'est pas parce que je suis une vampire que mes intentions ont changées. Ce n'est pas parce que je chasse l'humain que je ne les protège pas. Je ne chasse que les criminels, et encore quand je peux, je les laisse en vie. Je ne suis pas plus un monstre qu'avant, Damon Mils.

Mes yeux se fermèrent simplement, avant que je ne termine d'une voix égale :

Maintenant, je m'en vais. Je ne suis plus la bienvenue dans ta vie, je l'ai bien compris. Qui sait, peut-être que tu réussira à m'oublier, à me remplacer. Si c'est ce qui te rendrait heureux, alors je te le souhaite.

Je fis quelques pas vers la porte, tout en murmurant :

Adieu...