Comment on se retrouve ?

Forks était la ville parfaite pour vivre. J'en étais rapidement arrivée à cette conclusion, en voyant les arbres verts couverts de mousse et le béton encore humide. Ainsi, je pourrais cacher ma peau blafarde et ma condition, sans m'empêcher de sortir. Avec Oliver, on avait élu domicile dans une maison abandonnée. C'est pas ce qu'il manquait. Heureusement pour lui, il y avait de quoi avoir chaud, parce que c'est pas avec ma température corporelle que j'allais pouvoir faire grand chose. Mais on arrivait à survivre, je chassais uniquement quand j'en avais besoin - je ne voulais pas me faire repérer - et je m'arrangeais pour trouver de la nourriture adaptée. Fort heureusement pour nous, notre orphelinat tenait à ce qu'on apprenne tôt à se débrouiller par nous-même. Je cuisinais donc, pendant qu'il allait au lycée. J'avais évidemment refusé d'aller à l'école, fallait pas abuser non plus ! Je n'avais jamais aimé les cours, apprendre derrière un bureau, donc maintenant que je pouvais choisir, je ne m'en privais pas ! J'avais d'ailleurs décidé de sortir un peu, aujourd'hui.

J'avais enfilé une de mes tenues favorites, un jeans déchiré avec un pull en tricot blanc, avec des baskets noires toutes simples. J'aimais ce petit style vestimentaire, assez proche de celui des lycéennes, mais avec ce petit truc en plus. J'appliquais quelques touches de couleurs sobres sur mes paupières, un rouge à lèvres rouge vif, et posais mes lunettes de soleil sur mes yeux. Et voilà, la supercherie était finie ! Quoique... En voyant mes cheveux en bazar, je décidais de les brosser et de me faire deux belles tresses collées sur le crâne. Elle descendaient de chaque côté de mon visage, fines et sans un seul cheveu dépassant. Je me regardais dans la glace - oui, les vampires se voient dans un miroir, contrairement aux idées reçues - et décidais que, enfin, j'étais prête à sortir. J'attrapais les clés de la maison - j'avais fait refaire des doubles - et sortis. Pas de véhicule, seulement mes petites jambes. Je me dirigeais vers la ville, tranquillement, quand mon regard fut happé par un visage. Vous allez me dire que des visages, y en avait des tonnes. Mais CE visage, je le connaissais.

Des cheveux bruns, lisses, et la peau aussi blême que la mienne. Ses yeux rouges m'indiquèrent que oui, j'avais raison. Je me figeais, les souvenirs revenant dans ma mémoire comme un boomerang.

* FLASHBACK *

La nuit était bien noire ce soir. Mes yeux couleur chocolat parcouraient ma chambre, que je connaissais tellement bien que je savais chaque détail de celle-ci. Les nuages dévoilèrent alors la lune, m'apportant un peu de clarté. Je posais mes yeux vers la fenêtre, où une silhouette se découpait nettement. Je distinguais son visage, et ses yeux rubis. Avant que je ne puisse pousser le moindre hurlement, elle s'était jetée sur moi, et j'avais senti une violente morsure dans mon cou. Dès cet instant, le venin se répandit très - trop - vite. Et en un rien de temps, j'étais devenue comme elle. Ma gorge me brûlais, je ne savais pas qui c'était car elle avait disparu. Je me levais, et comme par instinct, je décimais un à un les enfants de l'orphelinat. J'arrivais devant Oliver, qui s'était réveillé et m'observait avec une terreur dans les yeux. Cependant, quelque chose en moi me repoussa, et je terminais le carnage sans toucher à mon frère. Une fois rassasiée, je le rejoignis, et sans vraiment qu'on en parle des heures, on prit la route, quittant cet endroit de désolation.

* FIN DU FLASHBACK *

Je ne bougeais pas de ma place, murmurant en sachant très bien qu'elle m'entendais :

C'était toi...

J'en aurais mis ma main à couper ! Je savais que c'était elle. Je n'avais pas correctement vu son visage, avec mes yeux d'humaine, mais ma mémoire à présent vampirique se souvenait de son odeur. Chaque vampire avait sa propre odeur, vous savez, et j'avais eu tout juste le temps de mémoriser la sienne. Une odeur assez froide, comme un glaçon. Avec une légère touche boisée. J'ignorais si c'était normal que je me souvienne aussi bien de ce genre de détails. Et visiblement, elle savait elle aussi que j'étais sa création. Mes poings se serrèrent, mes ongles s'enfonçant légèrement contre ma peau sans la percer. Pourquoi est-ce-qu'elle m'avait laissée me débrouiller comme ça ? C'était de sa faute si j'avais tué tout l'orphelinat ! C'était de sa faute si j'étais devenue comme ça ! Je l'entendais me répondre, avec un air qui se rapprochait presque de la provocation, si elle n'avait pas été aussi calme, que c'était en effet elle. Et elle se risqua même à me demander si j'étais contente. Mais contente de quoi ? Mes pas me menèrent vers elle en une seconde, et je répondis agressivement :

Contente ? Tu me demandes si je suis contente de les avoir tous tués ?

Ma main fit un léger mouvement vers le haut, et un peu plus loin les verre d'une terrasse vide se mirent à léviter. J'avais envie de la cribler de morceaux de verre jusqu'à ce qu'elle finisse par mourir. Mais je savais pertinemment que ça ne servirait strictement à rien. De la même façon que la mienne, sa peau était plus solide que du diamant. Je reposais les verres lentement, avant de serrer les crocs. Je reniflais l'air, Oliver était toujours au lycée. Cela me rassurait, au moins il ne risquait rien. Je repris la parole :

De façon assez évidente, je ne suis pas contente que tu m'aies abandonnée !

Alors là, j'avais vraiment l'impression d'être dans un mauvais film français. Moi, qui retrouvais ma sale petite connasse de créatrice, et elle qui se vantais de m'avoir abandonnée. C'était vraiment une pure petite garce ! J'avais envie de planter mes crocs dans son cou, la réduire en charpie ! Jamais personne ne m'avait mis autant dans une colère noire. Je serrais les dents, essayant de contenir en moi toute cette rage. Elle semblait tellement fière, tellement... RAAH ! Cela me fit immédiatement penser à Jewell. J'avais transformé la demoiselle, mais jamais je n'aurais pu l'abandonner ! Créer une vampire, c'était bien trop intéressant pour la laisser livrée à elle-même. Au contraire, je l'aidais chaque jour à se contrôler et à ne pas trop tuer. Elle faisait partie de ma famille, celle que je construisais chaque jour. Tout autant que les autres, je me battrais pour qu'elle vive, quoi qu'il m'en coûte. Cela marinait dans ma tête, et je ressentais cette envie de la tuer. J'étais à deux doigts de la tuer, quand dans son dos je vis les yeux couleur chocolat d'Oliver. Je m'arrêtais immédiatement.

Oliver...

Ma voix s'était faite discrète, mais je savais qu'il avait lu sur mes lèvres. Il me fit un léger signe d'apaisement, et je me précipitais devant lui. Je ne voulais pas mettre en péril sa vie, je me devais de le protéger. Je restais à côté d'Oliver, ma main posée sur son poignet. Je plongeais mon regard dans celui de Romane, prononçant distinctement :

Je ne les ai pas tous tués, et heureusement pour toi.

C'est clair, si elle pensait que j'avais tué tout le monde, elle se trompait. Cela la réjouissait de voir que j'avais beaucoup de morts sur la conscience. Mais, fort heureusement, je n'avais tués que ceux qui ne représentaient rien à mes yeux. Elle me souhaita de profiter de son cadeau, car elle était fière de m'avoir changée en monstre. Je grognais sourdement, quand Oliver prit la parole :

Elle n'est pas un monstre.

Je posais mon regard sur lui, soulagée par ses mots. Puis je regardais Romane :

C'est toi, le monstre.